MÉMOIRE DE L’INSTITUT RIDEAU

Sommaire

Le 17 juin 2011, le Comité permanent des finances de la Chambre des communes a invité les Canadiens à participer à son processus de consultation prébudgétaire annuel. Le Comité a fait part de son intérêt à connaître l’opinion de particuliers et de groupes sur quatre questions principales : Comment réaliser une reprise soutenue au Canada? Comment créer des emplois de qualité viables? Comment garantir des taux d’imposition relativement faibles? Comment obtenir un budget équilibré?

L’Institut Rideau, un groupe de recherche indépendant avec une expertise confirmée en politiques de défense, conseille au gouvernement de réduire les dépenses du ministère de la Défense nationale et propose les recommandations suivantes pour aider le comité à atteindre son objectif à l’égard d’un budget équilibré.

Recommandations

1.   Réduire les dépenses du ministère de la Défense nationale dans le but de retourner aux niveaux de dépenses d’avant les événements du 11 septembre 2001.

2.   Examiner les dépenses prévues en matière d’équipement afin de s’assurer que les projets répondent toujours aux priorités liées aux politiques de défense nationale du Canada.

3.   Accroître la surveillance des dépenses en équipement du ministère de la Défense nationale par le biais d’un comité ou d’un sous-comité parlementaire responsable des grands projets de l’État.

Contexte

Le ministère de la Défense nationale prévoit que les dépenses pour l’AF2010‑2011 s’élèveront à 22,2 milliards de dollars (y compris les revenus disponibles), selon les estimations de 2011‑2012 (ou 22,8 milliards de dollars en dollars de 2011, selon l’indice implicite du produit intérieur brut).

Pour la première fois depuis plus d’une décennie, le gouvernement du Canada planifie toutefois une diminution dans les dépenses de défense pour l’année financière en cours; les dépenses prévues pour l’AF2011‑2010 sont fixées à 21,7 milliards de dollars. Ce montant reflète une baisse nominale de 2,25 p. 100 et une baisse réelle de 4,8 p. 100 comparativement aux dépenses de l’an dernier.

La diminution prévue est significative sur le plan politique en ce sens que le gouvernement reconnaît peut-être que le taux d’augmentation annuel – aussi élevé que 12,9 p. 100 (nominal) dans l’AF2007‑2008, par exemple – n’est pas viable à court terme (voir le tableau 1).

La Stratégie de défense Le Canada d’abord annoncée en mai 2008 promet une hausse réelle « moyenne » de 0,6 p. 100 par année. Malgré la diminution prévue pour 2011‑2012, la hausse réelle moyenne depuis 2008 se maintient à plus de 2 p. 100 par année, soit un taux largement supérieur à l’objectif annuel de 0,6 p. 100 proposé par la Stratégie de défense Le Canada d’abord.

La diminution prévue surviendra-t-elle réellement? Selon les variations passées entre les dépenses prévues et les dépenses réelles, la réponse est discutable. Les chiffres de l’AF2011‑2012 seront presque certainement supérieurs aux prévisions. Les frais de l’opération en Lybie sont exclus du total. Il est à noter que les dépenses définitives ont souvent excédé les prévisions initiales, mêmes dans les années normales.

Même si la diminution des dépenses prévue a lieu, en fonction des normes historiques, le niveau de dépenses en défense demeure élevé. Il est de 19 p. 100 plus élevé que dans l’AF1989‑1990, année de la chute du mur de Berlin, et de 40 p. 100 plus élevé que dans l’AF2000‑2001, année précédant les attentats terroristes du 11 septembre 2001 (79 p. 100 en dollars nominaux). En fait, le gouvernement a dépensé 45,5 milliards de dollars de plus en défense depuis le 11 septembre 2001 (31,8 milliards en dollars de 2011) qu’il ne l’aurait fait si le niveau de dépenses était demeuré semblable à celui de l’AF2000‑2001.

Tableau 1 : Changements observés dans les dépenses
en défense du Canada depuis 2000‑2001

Année financière

Dollars courants (milliards)

Variation nominale depuis l’année précédente

Dollars de 2011 (milliards)

Variation réelle depuis l’année précédente

2000‑2001

12,1 $

-

15,5 $

-

2001‑2002

12,7 $

5,0 %

16,2 $

4,5 %

2002‑2003

12,9 $

1,6 %

16,3 $

0,6 %

2003‑2004

13,6 $

5,4 %

16,6 $

1,8 %

2004‑2005

14,6 $

7,4 %

17,2 $

3,6 %

2005‑2006

15,1 $

3,4 %

17,2 $

0 %

2006‑2007

16,3 $

7,9 %

18,1 $

5,2 %

2007‑2008

18,4 $

12,9 %

19,8 $

9,4 %

2008‑2009

19,5 $

6,0 %

20,2 $

2,0 %

2009‑2010

21,2 $

8,7 %

22,4 $

10,1 %

2010‑2011

22,2 $

4,7 %

22,8 $

1,8 %

2011‑2012

21,7 $

-2,3 %

21,7 $

-4,8 %

Source : Rapports du ministère de la Défense nationale sur les plans et les priorités et calculs de l’auteur (dollars de 2011 selon l’indice implicite du produit intérieur brut).

Points à examiner

Malgré l’utilisation considérable des fonds publics pour la défense nationale, le gouvernement subira probablement des pressions du ministère et de ses porte‑parole pour hausser les dépenses militaires.

La taille et le rythme des opérations des Forces canadiennes ont pris de l’ampleur dans la dernière décennie. L’intervention en Afghanistan a engendré des coûts humains et des coûts d’équipement très élevés qui se poursuivront dans l’avenir. On prévoit une hausse considérable des coûts différentiels des opérations internationales du Canada cette année par rapport à l’an dernier : 2,146 milliards de dollars comparativement à 1,476 milliards de dollars (de 2011) en 2010‑2011. Par conséquent, sans hausses supplémentaires, le budget de base de cette année sera inférieur à celui de l’année dernière de 9,5 p. 100.

Tableau 2 : Dépenses en capital prévues

 

Dépenses prévues

 

2011‑2012

2012‑2013

2013‑2014

Dépenses en capital

4 664 573 $

5 129 587 $

5 273 247 $

Source : Rapports du ministère de la Défense nationale sur les plans et les priorités de 2011‑2012.

D’autres pressions budgétaires sont susceptibles de provenir des plans d’équipement établis dans la Stratégie de défense Le Canada d’abord. De l’avis général, les fonds affectés pour l’achat d’équipement sont insuffisants. Ainsi, soit des hausses dans les dépenses considérablement supérieures au niveau promis dans la Stratégie de défense Le Canada d’abord seront nécessaires, soit des achats importants d’équipements devront être reportés ou annulés.

En dépit du fait que le gouvernement tienne bon en ce qui concerne les dépenses ministérielles globales, le gouvernement planifie de transférer un montant supplémentaire de 1 milliard de dollars dans les dépenses en capital au-dessus du niveau actuel au cours des deux prochaines années. La proportion des dépenses affectées à l’acquisition d’équipement augmentera de 21,9 à 24,7 p. 100 des dépenses ministérielles totales d’ici 2013‑2014.

Finalement, le renforcement ambitieux des forces militaires au cours de la dernière décennie a permis l’exécution d’importants programmes d’équipement militaire sans les démonstrations adéquates par le ministère. Pire encore, les programmes sont entrepris sans transparence et souvent sans processus d’invitation ouverte à soumissionner. Des projets d’acquisition qui valent des milliards de dollars nécessitent évidemment une surveillance parlementaire accrue.

Cette mauvaise gestion des fonds publics a engendré de nombreux contrats non concurrentiels  attribués pour les programmes de défense qui semblent être dictés par des intérêts privés ou industriels, plutôt que des exigences mesurables en matière de défense. Par exemple, la sélection du chasseur furtif F‑35 dans le projet Chasseur de la nouvelle génération reflète ces échecs.

Conclusions

À la suite des attentats terroristes du 11 septembre 2001, le Canada, ainsi que d’autres pays, a entrepris de nouvelles opérations militaires internationales et s’est engagé dans l’acquisition d’une longue liste d’équipements et d’armes ou dans des programmes de modernisation.

Une décennie plus tard, les principales menaces à la sécurité des Canadiens ne sont pas de nature militaire, mais économique. Ces missions militaires (telles que l’intervention en Afghanistan) tirent à leur fin et les gouvernements sont maintenant préoccupés par la crise financière mondiale à résoudre et la reprise économique à assurer pour leurs citoyens.

Les dépenses militaires devraient être ajustées afin de refléter la nouvelle réalité et d’amorcer un retour vers les niveaux de dépense d’avant le 11 septembre 2001. De plus, on doit restreindre les projets ambitieux de biens d’investissement et accroître la surveillance parlementaire des programmes de dépense afin de maximiser l’efficacité et de veiller à la meilleure gestion possible pour les contribuables.

Les organismes parlementaires de surveillance financière, tels que le Bureau du directeur parlementaire du budget et le Bureau du vérificateur général du Canada, ont donné l’alarme à plusieurs reprises au sujet des programmes de dépenses de défense. Les membres du Parlement ont besoin d’un processus pour s’informer systématiquement des grands projets de l’État. Ce processus pourrait prendre la forme d’un sous-comité sur les grands projets de l’État du Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires (OGGO).

À propos de l’Institut Rideau

Fondé en 2006, l’Institut Rideau est un groupe à but non lucratif, indépendant et impartial de recherche, de revendication et de consultation, basé à Ottawa.